Jean Alesi, né Giovanni Alesi, fils d’un carrossier automobile d’origine Sicilienne a vite baigné dans les odeurs d’huile et de peinture. On connaît tous le pilote si bouillant, entier et sympathique. On connaît moins le parcours de celui qui allait vite devenir le chouchou du paddock. Si la carrière de l’Avignonnais n’a pas été vraiment à la hauteur de son talent brut, les débuts n’ont pas été simples non plus.
Si Jean est d’abord passionné par le rallye il commence comme tout jeune pilote par le karting, après une saison réussie en 1982, il s’attaque à la coupe Renault 5 où son style “généreux” fera le plaisir des observateurs. Après un titre en F3 il accède à la F3000, alors considérée à l’époque comme l’antichambre de la F1. Mais après une première saison décevante il est à deux doigts de tout arrêter. Il faudra un conseil de famille, entouré du père et du frère José pour convaincre Jean de continuer en se promettant que si ça ne devait pas fonctionner ce serait sa dernière saison en sport auto.
Jean file chez Eddie Jordan près de Silverstone pour entamer la saison 1989 de F3000. Sûrement la meilleure année de la carrière du jeune français avec le titre, 3 victoires, une participation aux 24 heures du Mans et un appel d’un certain Ken Tyrrell. Michele Alboreto n’étant plus en odeur de sainteté chez oncle Ken, celui ci cherche un pilote disponible. Eddie Jordan toujours à l’affût d’une bonne affaire accepte de prêter son protégé après un deal dont il garde le secret. 5 jours avant le grand prix Jean est tranquillement chez lui quand le téléphone sonne : “Bonjour est ce que vous pouvez venir cette après midi en Angleterre chez Tyrrell? “ A son arrivée Ken Tyrrell prononcera seulement ces mots, synonymes de changement de vie pour Jean :”vous avez apporté une combinaison pour mouler votre siège pour le grand prix de France?” et c’est dans la précipitation que Jean Alesi rejoint le circuit Paul Ricard pour son premier grand prix de F1. Il finira 4ème, occupant même pendant quelques tours la seconde place, ce qui au volant de la modeste monoplace anglaise est un bel exploit. A la fin de la saison Jean signe un contrat pour 1990.
La première course de la saison 90 se déroule à Phoenix, Arizona. J’aurais pu dire sur le circuit de Phoenix, mais disons le franchement ça ressemble à tout sauf à un circuit. Tracé dans les rues de la ville, avec des angles droits pour virages, il n’est pas resté dans les annales de la discipline. Dès les essais Jean se fait remarquer en décrochant une belle 4ème place sur la grille au volant d’une Tyrrell bleue et blanche quasiment vierge de tout sponsor. Même si la performance est saluée, on dit à qui veut l’entendre que c’est un peu grâce aux excellents pneus Pirelli très à l’aise en qualifications. D’ailleurs Pierluigi Martini offre ce jour là à Minardi la meilleure qualification de son histoire en se plaçant en première ligne aux cotés de Berger. A cette époque il n’y a pas encore de manufacturier unique en F1 et les différences entre les Good Year et les Pirelli entraînaient parfois des surprises le samedi. Toujours est il que Jean a l’air d’apprécier l’atypique tracé américain et fait preuve d’une belle confiance le dimanche de course.
Alesi sait qu’il peut réaliser une belle course ici, justement grâce aux pneumatiques italiens mais aussi à ce circuit si spécial qui lisse l’avantage de l’expérience. Ca se vérifie au feu vert quand il reste à fond sur “la voie de gauche” et retarde au maximum son freinage pour s’installer en tête au premier virage croisant la trajectoire d’un Berger qui ne s’y attendait pas. Jean Alesi vient de réussir le premier départ canon d’une longue série en F1. L’envol à la catapulte devenant la spécialité du souriant pilote. Le Français est en tête, Senna est dans sa roue. Pourtant inexorablement l’Avignonnais creuse l’écart, qui finit par atteindre les 10 secondes.
Ron Dennis patron de McLaren affiche un visage fermé. Difficile d’admettre qu’une modeste Tyrrell occupée par un quasi débutant tienne la dragée haute à son pilote. Ayrton Senna envisage à un instant de s’arrêter pour chausser d’autres pneus tant il peine à revenir sur son rival d’un jour. Il faudra attendre quelques dizaines de tours, que sa monoplace retrouve un peu d’adhérence pour que la différence de puissance se fasse sentir et que Senna repointe son nez derrière la boîte de vitesse de la monoplace bleue.
Quand l’homme au casque jaune fait l’intérieur à Jean, le sort de celui ci semble scellé. Mais dès le changement de direction suivant le Français reprend son bien aussitôt ! Dans les stands, tout le monde reste bouche bée devant l’insolence du jeune pilote se permettant de dépasser sa majesté Senna sans même un regard. A ce moment là personne ne pense une seconde que le jeune intrépide va garder cette place plus de quelques centaines de mètres. Quelques virages plus loin, Senna déboîte en bout de ligne droite et se retrouve une nouvelle fois à hauteur de la frêle Tyrrell. La messe est dite, Senna va-t-il finir tranquillement ce Grand Prix à un rythme de sénateur à la place qui lui est due ? La pugnacité et la rage intérieure de Jeannot semblent en décider autrement !
Dès le virage d’après Alesi rend la monnaie de sa pièce au Brésilien et reprend la tête de la façon la plus virile qui soit. On imagine Ayrton furibond sous son casque, navré de se voir chahuté par une écurie de fond de grille. En fait, il semblerait plutôt que celui ci apprécie la petite bagarre et se prenne au jeu du “je te double, tu me redoubles”. Le duel est lancé et se joue au centimètre près tant les deux monoplaces sont proches de se toucher par moment. Les deux pilotes sont seuls au monde, bien loin devant la troupe de poursuivants. Les deux compagnons d’échappée ne vont pas s’ennuyer. On se croirait revenu au temps du duel Villeneuve-Arnoux à Dijon en 1979. Avant chaque virage Ayrton déboîte pour doubler Jean, y parvient parfois mais se fait systématiquement repasser par la virevoltante monoplace anglaise. Sur le muret des stands Ken Tyrrell est totalement hilare, à chaque dépassement il éclate de rire. Son écurie est très loin de son faste d’antan et il ne dissimule pas son plaisir de voir sa jeune recrue défier ainsi le meilleur pilote du monde.
Jean Alesi avait pris le départ en pneus intermédiaires, à vrai dire la logique veut que quand on part devant on chausse des pneus tendres mais il n’avait pas prévu de se retrouver en tête et donc de jouer la performance. Néanmoins si ses pneus un peu plus durs lui ont permis de tenir pendant quelques dizaines de tours, le rythme infligé a raison de leur adhérence et Senna prend la tête cette fois ci pour de bon. Non sans mal, Jean tentant coûte que coûte de l’en empêcher. Les deux compagnons reviennent sur les retardataires et à l’entrée de certains virages c’est à 4 de front que la course se joue! On apprendra plus tard que depuis plusieurs tours Ken Tyrrell hurlait dans la radio d’Alesi, lui réclamant d’assurer les points de la seconde place synonymes de rentrée d’argent pouvant assurer l’avenir de Tyrrell. Le légendaire patron Anglais s’est bien amusé mais maintenant il faut ramener la voiture entière.
A l’arrivée, son poulain franchit la ligne en seconde place. Ayrton vient saluer ce jeune effronté, le remerciant même pour cette belle bagarre. Après avoir savamment arrosé le petit Français de champagne, il lui rendra hommage en conférence de presse d’après course en saluant la belle course du pilote Tyrrell et lui promettant un bel avenir. Ayrton ponctuant par “c’est ainsi que la course doit être, merci Jean”. Ce jour là Jean, Adoubé par le roi Senna est devenu prince de Phoenix et ainsi le pilote avec qui il faudra compter. Les deux pilotes se retrouveront en principauté de Monaco quelques semaines plus tard pour un autre doublé dans le même ordre.
Cette course aura également marqué les patrons d’équipes et notamment Sir Franck Williams qui s’empressera de faire signer un contrat à l’Avignonnais pour l’année suivante. Jean ne conduira pourtant jamais de Williams, cédant aux sirènes Italiennes de l’écurie de son coeur : Ferrari. Impossible, contrat ou pas pour un Sicilien de se refuser à la Scuderia. La suite est connue, Williams dominera pendant des années de façon outrageante la discipline reine pendant que Ferrari sombrera et entamera les pires années de son histoire en F1. Mais ça c’est une autre histoire…
Texte : Niko Laperruque (http://www.niko-musique.com)
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